Dans le cadre de PÔLE POSITION, dispositif de soutien à la jeune création du réseau Seize Mille, nous accompagnons des artistes récemment sorti·es d’une des trois écoles supérieures d’art de la région. Pour la troisième édition de PÔLE POSITION, en 2024, cinq auteur·res et critiques d’art, ont été invité·es à écrire un premier texte portant sur leur démarche.
En complément, pour l'ouverture de l'annuaire des artistes de Bourgogne - Franche-Comté, nous avons proposé l’écriture de trois autres textes sur des artistes plus confirmé·es, pour promouvoir une diversité des pratiques.
Les auteur·res sélectionnés par un jury ont pu choisir de rencontrer les artistes qui piquaient leur curiosité.
Ces échanges ont donné lieu à une série de textes qui sont maintenant disponibles sur notre site.
Dans l’Hexagone, Gaëlle Cognée est la fille d’un village à l’Ouest, et depuis plusieurs années l’habitante d’un hameau à l’Est. En présence de la campagne, l’artiste, chercheuse et vidéaste s’imprègne de l’allongement du temps qui laisse sentir, tout à la fois, la mue des bois, le bruissement des rumeurs locales et les soulèvements politiques. À partir de cette matière mouvante, parasite, elle scénarise des œuvres vidéos qui explorent les récits communs ou souterrains.
Par adhésion d’amitiés, de voisins et de groupes citoyens, Gaëlle Cognée source ses projets par croisement d'histoires. Certaines réelles, d’autres imaginaires. Dans les faits divers de la presse locale, dans les mythes et les figures historiques, dans les témoignages glissés à l'entrée de la forêt, Gaëlle écoute, collecte, écrit, réunit. En fagotière contemporaine, elle noue ses trouvailles faîtes de lectures, de conversations et d’objets. Peu importe la nature officielle ou officieuse, l’Histoire ou les histoires, chacun aura à dire.
Puis elle sème. Elle sème des vidéos qui forment des témoins subjectifs de ces contextes; Étendue de Jeanne en son territoire propre - 2022 filmé en campagne française, Blind alleys as ocular ex voto - 2026 filmé à Tirana en Albanie, Land for sale - 2013 filmé à Vancouver au Canada, etc. Capturées principalement en caméra amateur, ses images se défont de toutes techniques qui nuisent à sa liberté ou qui l'enferment dans une temporalité.
À l’origine d’initiatives artistiques collectives, que ce soit dans des espaces de création (Collectif Plafond, 2010-2017) ou dans son processus de production, de vidéos et de publications, elle inscrit chaque projet dans une relation à l’autre et à son mode d’existence. Ainsi dialoguent dans ses œuvres l’être humain, l’être animal et l’être.
Anne Bourrassé
Anne Bourrassé est née en 1991, elle est basée entre Paris et l’Île d’Oléron. Elle est une commissaire d’exposition et critique d’art indépendante au croisement des arts visuels et des humanités. Ses recherches curatoriales s’articulent autour des théories intersectionnelles féministes, des phénomènes sociétaux et des pensées du vivant. Elle s’intéresse aux formes d’écritures contemporaines, et lie dans son travail la photographie, la poésie et la performance. Commissaire d’exposition autodidacte, elle défend une approche collective et inclusive de la création.
Elle est membre de C|E|A, Association française des commissaires d'exposition et de la section française de l'AICA, Association internationale des critiques d'art.
Juliette Buschini : Stickers et paillettes
Le travail pictural de Juliette Buschini puise profondément dans la culture populaire, où l'insouciance de l’adolescence et l'esthétique "Do It Yourself" occupent une place centrale. Plus jeune, elle customisait déjà ses vêtements, accessoirisait ses tenues avec des badges ; aujourd'hui, elle applique cette même approche à sa peinture. Elle célèbre le kitsch comme un reflet des goûts et des sensibilités de l'adolescence, cette phase où l'on explore et affirme son identité à travers des choix souvent perçus comme naïfs ou démodés.
Ses œuvres sont modulables, certaines pouvant être utilisées comme des fonds, tandis que d'autres naissent de gestes rapides, d’intuitions fulgurantes. Travaillant sur des supports variés, tels que le bois, la toile brute, le carton, une coquille Saint-Jacques ou encore un drap de lit, elle dépasse les limites de la simple bidimensionnalité, n'hésitant pas à intégrer, assembler ou coller des matériaux composites dans ses peintures.
Elle collecte des objets du quotidien, principalement dénichés dans des magasins de déstockage comme Noz, reflétant son engagement pour une économie de moyens et privilégiant l'utilisation de matériaux récupérés ou peu coûteux. Des reliques des années 90-2000 à des jouets pour chiens, en passant par des stickers holographiques et des gadgets en plastique, tout y passe. Elle s'inspire également d'images trouvées en ligne, sur des sites comme Vinted, ainsi que d'éléments saisissants qu'elle décide de photographier dans la rue. Un objet, une phrase ou un motif peut alors se révéler comme le fragment d'une éventuelle narration en devenir.
Les œuvres de Juliette Buschini ne racontent pas toujours des histoires explicites ; au contraire, elle laisse volontairement des zones d'ombre pour permettre aux spectateur·rices d'interpréter le sujet, finement guidé·es par les références culturelles et pop qu'elle emploie. Qu'il s'agisse d'évoquer le titre d’un morceau, un ticket à gratter, une poupée Bratz, des icônes comme Zidane ou de transformer une housse de couette en poster géant d’Hannah Montana, son travail interagit avec notre mémoire collective. On prend plaisir à observer avec attention ses toiles où l'humour côtoie la nostalgie et où le premier degré se mêle subtilement au second.
Émilie d’Ornano, Août 2024
Émilie d’Ornano est commissaire indépendante, critique d’art, enseignante et directrice de KOMMET centre d’art à Lyon qu’elle a fondé en 2019. Elle enseigne l’Histoire de l’art, la stratégie de communication et le commissariat d’exposition à l’ICART, à l’école Brassart, à l’École Bellecour et à l’Université de Saint-Etienne. Depuis 2023, elle anime un programme d’accompagnement et d’aide à la professionnalisation à destination des diplômé•es de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Lyon.
Elle développe une approche critique et curatoriale qui se veut participative et engagée au plus près des artistes et de leurs pratiques. Elle porte une attention toute particulière aux artistes qui témoignent d’une réflexion portée sur les évolutions et les bouleversements récents de nos sociétés contemporaines.).
Elle est membre de C|E|A, Association française des commissaires d'exposition, et engagée dans le réseau Adele à Lyon, auprès du CACN, Nîmes et de l’Espace Montebello, Lyon
Eléa Fouchard ne cherche pas à faire diversion.
Elle multiplie pourtant les moyens d'expression : dessin, écriture, éditions, films-vidéos, graphisme, gravure, installation, peinture, sérigraphie, sculpture bientôt.
Sa pratique, abondante et quotidienne, fait de chaque expérience vécue une source de narration, fragmentée dans des carnets, son feed instagram un roman graphique.
Cette profusion se retrouve d’ailleurs jusque dans chacune des cases qu’elle dessine dans ce dernier, Vivre, récit-journal mêlant à des épisodes de sa vie des pages du journal de sa mère, décédée lorsque l’autrice avait dix ans. Les couleurs y semblent repousser le vide.
La pratique d’Éléa Fouchard est ainsi abondante autant qu’elle aborde frontale cet épisode comme fondamental pour l’artiste, autant que sa construction de genre en tant que femme, sa corporéité. L’abondance y est peut-être alors un moyen de repousser le vide, d’éviter que la vie subisse ce que Gaston Bachelard appelait “la propagation du néant”, et d’en faire une énergie mouvante et contagieuse.
La frontalité, peu familière parfois aux œuvres d’art contemporain qui se doivent d’être opaques pour ne pas être trop vite digérées, est peut-être, quant à elle, une forme de générosité envers celles et ceux qui découvrent son travail. Dans Esthétique de la rencontre, Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengual détaillent justement ce mécanisme d’autoréférentialité des œuvres. Les auteur·ices en déduisent que, dans ce régime esthétique, la “charge de la preuve” revient au spectateur ou la spectatrice, élément déficitaire, ignorant, dans sa relation à l'œuvre. Eléa Fouchard pratique une auto-fiction claire non pas tant comme exutoire, mais pour que son vécu se transforme pour d’autres en idées affectantes, que son histoire à elle se mêlent à d’autres pour déployer de nouveaux archipels de vécus.
“Pour qu’une idée puisse nous faire de l’effet, il faut qu’elle soit transformée en idée affectante, c’est-à-dire qu’elle arrive chargée de mises en récit ou d’images qui nous rendront présentes, urgentes, brûlantes des choses ou des causes qui jusque là étaient lointaines ou invisibles” explique Alice Zeniter dans Je suis une fille sans histoire, essai sur le pouvoir d’une fiction à laquelle on ôterait ses attributs héroïques et virilistes. En ce sens, on peut voir dans le travail d’Eléa Fouchard une filiation avec un nouveau réalisme situé, incarné, lié notamment aux luttes féministes contemporaines, celui d’Annie Ernaux, de Louise Bourgeois, et plus près de nous peut-être de la dramaturge Agathe Charnet, autrice de Ceci est mon corps. Autant de mises en récits de soi dont la vocation est de dé-singulariser ces expériences vécues pour en faire des outils d’émancipation et, ainsi, comme l’explique la philosophe Geneviève Fraisse, établir des filiations qui ne soient pas seulement familiales, mais aussi sociales, collectives, et politiques.
Samuel Marin Belfond, 2024
Samuel Marin Belfond est auteur et critique d’art. Il développe sa pratique à travers l’écriture, la performance, la programmation et la création sonore. Son travail explore les scripts contemporains de la masculinité, et notamment les fictions contemporaines qui la construise, dans le cadre d’une démarche artistique et militante.
En tant que critique, il expérimente les possibles d’une critique située, expérimentale et collective. La collaboration est au cœur de sa pratique que cela soit au sein de collectifs artistiques, à travers l’organisation de manifestations culturelles ou d’ateliers menés avec tous types de publics, gardant toujours comme principe prioritaire la nécessité d’œuvrer aux meilleures conditions éthiques de production.
Il collabore aux revues Manifesto XXI, Antidote, LeChassis, Station Station, Bad to the Bone, Le 1, Mouvement...
Membre de Jeunes Critiques d’Art et de l'AICA, Association internationale des critiques d'art.
Louis Simonnet a déjà écrit des nouvelles. C’était pour un mémoire de fin d’études, en école d’art, qu’il avait intitulé « Manuel d’une balade en ville ». S’il a depuis (provisoirement ?) délaissé l’écriture, on peut encore retenir cette référence devenue presque désuète à la flânerie comme éclairage pour son travail de peintre-plasticien. Car c’est souvent ainsi qu’il procède, par la quête glaneuse d’un objet, d’un fragment, d’un détritus à même de servir de base à une réflexion et à une œuvre à venir. Déjà, au temps des premières peintures et de la quête du « soi-artiste », Louis ne remplissait pas ses toiles, signe précoce, sans doute, d’une aspiration à associer d’autres matériaux à ses créations ou du sentiment que quelque chose tentait de se dire avec la seule matière brute préservée, dans ce que l’on nomme la réserve. Le chemin de la création est souvent un chemin de crête et le nu de la toile est devenu, un jour, l’espace d’un ready-made, l’emplacement pour des collages hétérogènes : confettis ramassés sur un trottoir, bâches en plastique, objets de récupération… C’est ici que la flânerie et la balade, prennent tout leur sens. Dans cette disponibilité du piéton où Louis Simonnet se saisit de ce qui sera le matériau de sa toile. Peintre ? Le jeune homme (né en 1996) n’a jamais voulu s’enfermer dans un seul médium. Si la période de Covid et ses promenades si contraintes ont favorisé le travail pictural, les années suivantes ont été celles d’un arpentage assidu aux confins d’une triple et fragile frontière entre le ready-made, l’installation et une peinture qui cherche dans des supports glanés un supplément à sa réalité première. Il est vrai qu’un changement de surface provoque facilement un glissement sémantique. Ainsi la mer, le paysage maritime qui a concerné le travail de Louis dès les premières années n’est pas la même mer, selon qu’elle est figurée par un aplat d’huile indigo sur une toile en lin ou par une bâche de travaux en plastique bleu pétrole. On entre dans une dualité politique ; on délaisse une imagerie intemporelle pour un signifiant d’une grande actualité. La mer figurée devient celle des migrants, de la misère, de l’injustice, du monde industriel. Le hiatus est d’autant plus grand lorsque le peintre décide de poser au pinceau, au milieu de l’étendue bleue artificielle, une seule silhouette de nageur, infiniment petite et vulnérable, perdue au sein du monochrome industriel.
Ce recours à la matière hétéroclite, comme le minimalisme du trait de certaines de ses installations, évoquent des familles d’artistes et Louis Simonnet privilégie volontiers celle de l’artiste belge Édith Dekyndt (pour la confrontation des matériaux) et de Lisa Beck (pour l’épure). On sent qu’au-delà du geste, par sa polysémie fondamentale et par l’hétérogénéité de sa matière, la peinture s’éloigne un peu plus de la photographie. Mais elle se rapproche parfois de l’investigation, l’objet glané suscitant une enquête préliminaire au geste, comme, par exemple, pour des toiles qui sont des reconstitutions incomplètes de billets de banque à partir de lambeaux broyés par la banque de France : bandes de papier à la valeur fantasmée, perdue dans la broyeuse et sous l’effet du temps et auxquels l’œuvre redonne un pouvoir hybride, onirique et marchand. Il est drôle que le hasard ait disposé sur la route de ce glaneur ces déchets hautement symboliques d’un monde contraint de surconsommer pour se survivre, de détruire ce qui fait tant défaut à tant de gens. Le rebut est un signifiant social, politique qui guette un regard pour faire éclater son sens ou susciter un discours. Louis Simonnet en a une conscience aigüe, intervenant parfois à la marge, tendant, enchâssant ou posant simplement sur le sol ces « détritus célestes » (l’équivalent « objets » des clochards de Kerouac) leur laissant la possibilité d’étaler leur ambivalence et de troubler l’observateur. Mais il arrive aussi que l’artiste nous emmène vers un univoque plus immédiatement poétique, rehaussant ses supports d’une couleur vive ou d’une forme peinte élémentaire, donnant alors à des rebuts l’opportunité de devenir sous nos yeux un ciel limpide à même d’accueillir la forme d’une lune ou d’un soleil.
Christophe Fourvel
Christophe Fourvel est né en 1965, il vit non loin de Besançon. Animateur d’ateliers d’écriture, il est l’auteur de nombreux livres pour adulte et pour enfant, de textes pour la scène, de chroniques dans la presse. Il dirige depuis 2021 la collection "Le Club des écrivains" aux éditions Mediapop, il collabore régulièrement avec la revue Novo.
Il enseigne l'« Écriture créative » au Centre de Linguistique Appliquée pour des étudiants étrangers et la « Pratiques scéniques et théâtres du monde », à l’Université de Bourgogne Franche-Comté à Besançon pour les licences et masters « Arts du spectacle ». Intervenant à École nationale supérieure d'art et de design de Nancy ainsi qu’à SciencesPo (campus de Dijon).
À partir de matériaux issus de l'industrie, Anselme Sennelier décortique les gestes pour forger un résultat inédit.
Il burine, ponce, fait choir le ciment du mur, gratte encore. Il détruit pour refaire. Un jour, il fait descendre un plafond pour guider notre regard vers le bas. L’autre, il opère une saignée dans le sol. Ailleurs, une tôle de métal est fixée à quelques centimètres du mur. À l’arrière, l’artiste projette du métal en fusion et recueille les débris de cette action. Il crée des tensions à l'aide de tissus torsadés autour d'un bâton et cherche sans cesse à atteindre la limite de la brique, du bois, du placo, de l’acier, du marbre ou du granit. La cassure n'est jamais loin et suscite une certaine jouissance technique.
Anselme Sennelier observe comment les matériaux réagissent à une puissance de traction générée par des cordons de fusion. À chaque phase de soudure, il ignore ce qui peut advenir : il va un peu plus loin, remplit le biseau, ajoute de la tension mécanique.
Sur un même principe transposé au médium vidéo, il épuise l’image envahie par les flous de poussière. L’écran change de couleur, les copeaux de bois saturent la vision à contre-jour et en surexposition.
Quand il conçoit un cercle d'argile, il ajuste la finesse de la fixation, la forme, la méthode, sans avoir auparavant manié cette matière. La terre se maintient grâce à un grillage, les craquelures apparaissent (Fall, 2022).
Les pierres courbées (TIGSSS n°1, 2023), étrangement rigides et souples, nous livrent d’autres formes contraintes, perforées, enserrées par l’action de la tige filetée. L'outil est rarement visible, à l’exception d’une carotteuse (18,3 Km, 2022). Fabriquer des machines reste un moyen, non une finalité. Au dépôt d'un tailleur de pierre ou chez d'anciens collègues ouvriers, il récolte ses matières premières : il revient à l’industrie pour
puiser ses ressources. 450 N.M (2022) est un panorama de matériaux, une composition abstraite et figurative, un lexique de la découpe et de la matière : la compilation des vies laborieuses de l’artiste.
Élise Girardot, août 2024
Élise Girardot collabore avec des artistes émergents pour la production d’expositions, de performances, de textes. Elle envisage sa position d’un point de vue exploratoire et déploie une recherche élargie, révélant un débordement de l'exposition. Souvent in situ, ses projets d’écriture ou d’exposition deviennent des prétextes narratifs et cherchent à révéler les espaces et les lieux où ils s’implantent. Sa pensée curatoriale parle depuis les mémoires des territoires et des personnes qu’elle rencontre. Histoires sociales, architecturales ou poétiques, histoires vraies ou rêvées, mémoire des corps et de leurs gestes, mémoires manquantes ou tues...
La mémoire devient une matière depuis laquelle s’invente toute une cartographie de récits qui s’exposent en creux. On découvre cet engagement dans ses propositions pour la saison arts visuels, 2024 – 2025 de l’ARC scène nationale Le Creusot dans le cadre de « Cura » initié par le CNAP.
Elle est membre de C|E|A, Association française des commissaires d'exposition et de la section française de l'AICA, Association internationale des critiques d'art.
Joris Creuze opère des greffes. Il transfigure des objets banals en créatures. Ses chimères traversent les strates historiques. Souvent, il réunit deux entités, deux histoires, deux matériaux, pour créer un motif fantastique. Les éléments dialoguent et rebondissent, des familles d'œuvres se constituent. Chaque série s'étend, les échelles varient, des
maquettes apparaissent pour devenir des sculptures-fauteuils ornées de pattes de grenouille en céramique. Les pieds de table remplacent les socles, la narration nous mène vers les gargouilles grimaçantes.
Diplômé en 2022 de l'ENSA Dijon, Joris Creuze puise dans l'architecture qui l’entoure. Il ne se lasse pas de contempler la façade de Notre-Dame à Dijon et pratique le modelage avec délectation : il invente des personnages, façonne l'acier et la céramique, travaille les pleins, les creux, les effets de soustraction. L’acier est le squelette de la sculpture.
La céramique l’enveloppe et devient sa peau.
Cette dualité déploie des face-à-face, des vis-à-vis. D'autres matières apparaissent, comme la cire, le tissu ou la pâte fimo. L'artiste est sans cesse habité par des mises en scène, des conversations possibles entre ses sculptures et l’espace
d’exposition, où la lumière tient une place centrale. Nombre de scenarii sont en attente, prêts à émerger. Aussi grotesques qu’inquiétants, les êtres fabuleux demeurent attachants : ils transmettent une forme d’humanité propre aux monstres.
La littérature et le cinéma fantastiques imprègnent Joris Creuze dès l’enfance. Ici, le gisant d'une abbaye est soudain affublé d'un masque (Masque cornu, 2023). Là, en créant un barbecue (Calcifer, 2023), l'artiste assouvit son obsession du feu, puissance de transformation concrète des matériaux et des aliments. La sculpture s’anime, sa bouche en grès émaillé exulte et exhale la flamme.
On s’installe autour pour partager un repas. Ailleurs, séparés par une table, deux têtes émergent sous une louve (Entre chien et loup, 2024).
Les louveteaux ne peuvent rejoindre leur mère : on accède à l'endroit et l’envers du récit, qu'on inverse à notre guise par le biais de l’imaginaire.
Élise Girardot, août 2024
Élise Girardot collabore avec des artistes émergents pour la production d’expositions, de performances, de textes. Elle envisage sa position d’un point de vue exploratoire et déploie une recherche élargie, révélant un débordement de l'exposition. Souvent in situ, ses projets d’écriture ou d’exposition deviennent des prétextes narratifs et cherchent à révéler les espaces et les lieux où ils s’implantent. Sa pensée curatoriale parle depuis les mémoires des territoires et des personnes qu’elle rencontre. Histoires sociales, architecturales ou poétiques, histoires vraies ou rêvées, mémoire des corps et de leurs gestes, mémoires manquantes ou tues... La mémoire devient une matière depuis laquelle s’invente toute une cartographie de récits qui s’exposent en creux. On découvre cet engagement dans ses propositions pour la saison arts visuels, 2024 – 2025 de l’ARC scène nationale Le Creusot dans le cadre de « Cura » initié par le CNAP.
Elle est membre de C|E|A, Association française des commissaires d'exposition et de la section française de l'AICA, Association internationale des critiques d'art.
Paul Tiberghien, artiste-chômeur à temps partiel
Paul Tiberghien s’approprie les codes de l'entreprise et des administrations pour en révéler toute leur absurdité. En utilisant les formes et les langages associés à ces milieux empreints d'autorité, il détourne les normes pour créer des œuvres à l'humour incisif, souvent empreintes d'ironie. À travers ses pastiches, il s’amuse avec l'image sérieuse et rigide des institutions, créant pour les spectateur•ices un espace de réflexion sur la nature du pouvoir et de la productivité. Une des idées centrales du travail de Paul Tiberghien consiste à mettre un effort considérable dans des tâches apparemment inutiles. Ses œuvres questionnent la productivité et le sens que nous donnons à nos actions, notamment dans une société qui valorise l'efficacité à tout prix.
Avec facétie, Paul Tiberghien a créé un alter ego éponyme, un personnage désinvolte qui incarne ses frustrations et ses réflexions sur le monde. Ce personnage, qui semble incarner la paresse et la médiocrité, est un moyen pour l'artiste de grossir les traits de ses propres défauts ou des travers qu'il observe dans la société. L'humour et l'auto-dérision sont omniprésents, permettant à la fois de dédramatiser des situations difficiles tout en soulignant, de manière douce-amère, la précarité et le manque de visibilité des artistes-auteur•ices.
Sa pratique se situe à la croisée de l'art action et de la parodie. En détournant des objets du quotidien ou en s'inspirant d'environnements familiers, il joue sur un imaginaire collectif déjà bien ancré. Paul Tiberghien invite joyeusement les spectateur•ices à une réflexion profonde sur les structures qui régissent nos vies. Son approche lui permet d'ancrer son discours dans une réalité tangible, tout en offrant une critique subtile et humoristique des normes et systèmes en place.
Émilie d’Ornano, Août 2024
Émilie d’Ornano est commissaire indépendante, critique d’art, enseignante et directrice de KOMMET centre d’art à Lyon qu’elle a fondé en 2019. Elle enseigne l’Histoire de l’art, la stratégie de communication et le commissariat d’exposition à l’ICART, à l’école Brassart, à l’École Bellecour et à l’Université de Saint-Etienne. Depuis 2023, elle anime un programme d’accompagnement et d’aide à la professionnalisation à destination des diplômé•es de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Lyon.
Elle développe une approche critique et curatoriale qui se veut participative et engagée au plus près des artistes et de leurs pratiques. Elle porte une attention toute particulière aux artistes qui témoignent d’une réflexion portée sur les évolutions et les bouleversements récents de nos sociétés contemporaines.).
Elle est membre de C|E|A, Association française des commissaires d'exposition, et engagée dans le réseau Adele à Lyon, auprès du CACN, Nîmes et de l’Espace Montebello, Lyon.
Charlotte Audoynaud travaille uniquement avec un appareil argentique. Un Hasselblad, un boitier à l’apparence de caméra du siècle dernier et au viseur de poitrine, le même qui accompagna les astronautes sur la lune au tournant des années 70. Cela changera peut-être un jour, sous le poids de la nécessité financière mais jusqu’à aujourd’hui, la photographe (née en 1986), persiste à décliner tous les possibles immenses que font miroiter nos logiciels. Il faut, pour qui refuse la tentation différée de transformer l’image sur son écran d’ordinateur, obtenir l’acquiescement du ciel, une bienveillance de la lumière ; accepter de s’arrêter de photographier avant le crépuscule ou bien de commencer avec lui. Mais cette allégeance au temps linéaire rend aussi plus prégnantes la finitude de toute chose, la constance et la précarité de ce qui nous importe. Alors, sur les photographies argentiques de Charlotte Audoynaud, l’histoire immémoriale ose sa patine sous l’histoire immédiate, les enfants grandissent et les adultes vieillissent dans cette permanence à laquelle on feint de croire pendant les quelques décennies où il nous est donné de vivre parmi les arbres, les saisons et leurs cycles presque éternels. Les paysages, les gestes, les corps dessinent des lieux et des moments de vie familiaux très peu fortuits sans toutefois relever d’une mise en scène appuyée. Attitudes quasi dessinées, presque picturales, sous-tendues par une confiance palpable.
Charlotte photographie sa mère, ses enfants, ses frères et sa sœur au sein de décors toujours réduits à quelques objets — une table, un radiateur, un mur, un vase. Elle photographie les saisons, le territoire environnant de sa maison, les animaux qui veulent bien ralentir sur son chemin ; la compagnie des vagues, parfois. Une nature jamais édifiante et à l’abord adouci par une manière routinière de la traverser. On entre en forêt, on arrive sur la roche marine comme on surprendrait un être familier au réveil et cette présence sauvage est comme le deuxième cercle de l’intime, le remblai qui fait pendant au creusé d’une rêverie solitaire. Le travail de Charlotte Audoynaud est en couleur mais imbibé d’une douceur chromatique, livré parfois à des brumes ou des ombres gourmandes. Là est peut-être le point de la plus poétique tension, une dualité à la fois complice et contraire qui fait se confronter dans la même image, une fragilité de la lumière et la solidité des liens tissés avec les êtres et l’espace élu comme lieu de vie. Et cela « s’écrit » sous forme de chapitres, (c’est ainsi que Charlotte nomme les différentes séries de son travail) c’est à dire dans une continuité qui réclame ses paliers, ses ruptures minimes ; ou du moins qui les suggèrent. Aux côtés de ses images, Charlotte expose des textes qu’elle écrit elle-même comme des voies que le regard peut arpenter en parallèle de ses photographies ; ni pléonastiques, ni explicatifs, ils sont une résonance toute personnelle, puisés à la même veine que les titres qu’elle aime donner aux différents chapitres de son travail : « J’irai creuser la mer », « Étreindre les ombres », « Nos cris intérieurs ». On fait un pas de plus vers les cadrages à la fois contemplatifs et tourmentés de Tarkovski. On comprend mieux l’enjeu de sa démarche en lisant certaines de ces phrases, qui disent ce qui, du paysage, est à la fois soi et déchargé de soi. Comment « les oiseaux » dans le ciel deviennent « nos oiseaux » tout en conservant leur innocence :
Mes oiseaux sont innocents, ils n’ont pas connu la perte, l’absence, le manque. Ils sont vie et joie, mais aussi colère et larmes. Ils sont forts et fragiles à la fois. Naufragés échoués d’un matin d’automne, ils évoluent dans un équilibre précaire, de roche en roche, de failles en creux, dans un brouhaha silencieux d’écume.
Pareils mots sont autant les fils qui cousent un parcours entre les images que la toile fragile tissée par la pensée de celui ou celle qui choisit de photographier. Ils confortent l’évidence ressentie au contact du visible ou proposent de s’en écarter pour un infime différent. Ils s’offrent à nos regards, sur les murs, comme les autoportraits littéraires d’une artiste qui ne retourne jamais l’objectif de son Hasselblad vers elle-même.
Christophe Fourvel, 2024
Christophe Fourvel est né en 1965, il vit non loin de Besançon. Animateur d’ateliers d’écriture, il est l’auteur de nombreux livres pour adulte et pour enfant, de textes pour la scène, de chroniques dans la presse. Il dirige depuis 2021 la collection "Le Club des écrivains" aux éditions Mediapop, il collabore régulièrement avec la revue Novo.
Il enseigne l'« Écriture créative » au Centre de Linguistique Appliquée pour des étudiants étrangers et la « Pratiques scéniques et théâtres du monde », à l’Université de Bourgogne Franche-Comté à Besançon pour les licences et masters « Arts du spectacle ». Intervenant à École nationale supérieure d'art et de design de Nancy ainsi qu’à SciencesPo (campus de Dijon).
Une araignée qui fait peur, un merle menaçant, un escargot visqueux. À chaque espère l’homme attribue des caractéristiques fondées sur sa perception et ses croyances, quitte à réduire leur mode d’existence. Dans son travail, Marie Follea change les perspectives. Au non-humain, elle emprunte la vision et l’échelle. Ainsi chaque espère raconte, chaque saison détermine, chaque matière propose. L’action est portée, non plus seulement par l’artiste, mais par le cycle et les émotions de l'environnement qui l’entoure.
Toute hiérarchie s’efface entre elle et ses matériaux. Ses œuvres, et ce qu’elles traduisent du monde, appartiennent à plusieurs corps; liquides, végétaux, poreux, animaux, vulnérables. Preuves en sont les veines d’argiles qu’elle puise sous la surface de sa région. Les saisons, quant à elles, lui imposent son rythme de création: à l’hiver la coupe des branches, après les gelées vient la récolte de la terre, sous l’été la sécheresse des argiles, à l’automne le tressage. Marie accompagne ou succède au mouvement des éléments pour leur donner une nouvelle forme dans ses sculptures.
En parallèle, un long travail d’étude et d’observation des animaux - particulièrement des oiseaux - la mène à raconter de nouveaux récits sur les espèces, qu’elle partage avec le public dans des installations, dessins, dispositifs. Si nous défendons aujourd’hui le “savoir situé” pour signifier que notre objectivité sur le monde réside en chacune et chacun, et en chaque vécu, il est ainsi possible de suggérer qu’avec ses œuvres, Marie Follea nous transporte vers un savoir situé du non-humain.
Anne Bourrassé
Anne Bourrassé est née en 1991, elle est basée entre Paris et l’Île d’Oléron. Elle est une commissaire d’exposition et critique d’art indépendante au croisement des arts visuels et des humanités. Ses recherches curatoriales s’articulent autour des théories intersectionnelles féministes, des phénomènes sociétaux et des pensées du vivant. Elle s’intéresse aux formes d’écritures contemporaines, et lie dans son travail la photographie, la poésie et la performance. Commissaire d’exposition autodidacte, elle défend une approche collective et inclusive de la création.
Elle est membre de C|E|A, Association française des commissaires d'exposition et de la section française de l'AICA, Association internationale des critiques d'art.