Louis SIMONNET
par Christophe Fourvel
Dans le cadre de notre dispositif de soutien à la jeune création PÔLE POSITION, nous accompagnons cinq artistes récemment sortis d’une des trois écoles supérieures d’art de la région. Pour la première fois en 2024, Seize Mille a commissionné à quatre auteur·rices et critiques d’art, l’écriture d’un premier texte portant sur leur démarche. Après un an d'accompagnement comprenant une bourse, deux expositions et un temps de résidence, ce texte donnera aux lauréats un atout supplémentaire pour communiquer sur leur pratique.
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Louis Simonnet a déjà écrit des nouvelles. C’était pour un mémoire de fin d’études, en école d’art, qu’il avait intitulé « Manuel d’une balade en ville ». S’il a depuis (provisoirement ?) délaissé l’écriture, on peut encore retenir cette référence devenue presque désuète à la flânerie comme éclairage pour son travail de peintre-plasticien. Car c’est souvent ainsi qu’il procède, par la quête glaneuse d’un objet, d’un fragment, d’un détritus à même de servir de base à une réflexion et à une œuvre à venir. Déjà, au temps des premières peintures et de la quête du « soi-artiste », Louis ne remplissait pas ses toiles, signe précoce, sans doute, d’une aspiration à associer d’autres matériaux à ses créations ou du sentiment que quelque chose tentait de se dire avec la seule matière brute préservée, dans ce que l’on nomme la réserve. Le chemin de la création est souvent un chemin de crête et le nu de la toile est devenu, un jour, l’espace d’un ready-made, l’emplacement pour des collages hétérogènes : confettis ramassés sur un trottoir, bâches en plastique, objets de récupération… C’est ici que la flânerie et la balade, prennent tout leur sens. Dans cette disponibilité du piéton où Louis Simonnet se saisit de ce qui sera le matériau de sa toile. Peintre ? Le jeune homme (né en 1996) n’a jamais voulu s’enfermer dans un seul médium. Si la période de Covid et ses promenades si contraintes ont favorisé le travail pictural, les années suivantes ont été celles d’un arpentage assidu aux confins d’une triple et fragile frontière entre le ready-made, l’installation et une peinture qui cherche dans des supports glanés un supplément à sa réalité première. Il est vrai qu’un changement de surface provoque facilement un glissement sémantique. Ainsi la mer, le paysage maritime qui a concerné le travail de Louis dès les premières années n’est pas la même mer, selon qu’elle est figurée par un aplat d’huile indigo sur une toile en lin ou par une bâche de travaux en plastique bleu pétrole. On entre dans une dualité politique ; on délaisse une imagerie intemporelle pour un signifiant d’une grande actualité. La mer figurée devient celle des migrants, de la misère, de l’injustice, du monde industriel. Le hiatus est d’autant plus grand lorsque le peintre décide de poser au pinceau, au milieu de l’étendue bleue artificielle, une seule silhouette de nageur, infiniment petite et vulnérable, perdue au sein du monochrome industriel.

 

Ce recours à la matière hétéroclite, comme le minimalisme du trait de certaines de ses installations, évoquent des familles d’artistes et Louis Simonnet privilégie volontiers celle de l’artiste belge Édith Dekyndt (pour la confrontation des matériaux) et de Lisa Beck (pour l’épure). On sent qu’au-delà du geste, par sa polysémie fondamentale et par l’hétérogénéité de sa matière, la peinture s’éloigne un peu plus de la photographie. Mais elle se rapproche parfois de l’investigation, l’objet glané suscitant une enquête préliminaire au geste, comme, par exemple, pour des toiles qui sont des reconstitutions incomplètes de billets de banque à partir de lambeaux broyés par la banque de France : bandes de papier à la valeur fantasmée, perdue dans la broyeuse et sous l’effet du temps et auxquels l’œuvre redonne un pouvoir hybride, onirique et marchand. Il est drôle que le hasard ait disposé sur la route de ce glaneur ces déchets hautement symboliques d’un monde contraint de surconsommer pour se survivre, de détruire ce qui fait tant défaut à tant de gens. Le rebut est un signifiant social, politique qui guette un regard pour faire éclater son sens ou susciter un discours. Louis Simonnet en a une conscience aigüe, intervenant parfois à la marge, tendant, enchâssant ou posant simplement sur le sol ces « détritus célestes » (l’équivalent « objets » des clochards de Kerouac) leur laissant la possibilité d’étaler leur ambivalence et de troubler l’observateur. Mais il arrive aussi que l’artiste nous emmène vers un univoque plus immédiatement poétique, rehaussant ses supports d’une couleur vive ou d’une forme peinte élémentaire, donnant alors à des rebuts l’opportunité de devenir sous nos yeux un ciel limpide à même d’accueillir la forme d’une lune ou d’un soleil.

 

Christophe Fourvel

 

à propos de l'auteur(e)

Christophe Fourvel est né en 1965, il vit non loin de Besançon. Animateur d’ateliers d’écriture, il est l’auteur de nombreux livres pour adulte et pour enfant, de textes pour la scène, de chroniques dans la presse. Il dirige depuis 2021 la collection "Le Club des écrivains" aux éditions Mediapop, il collabore régulièrement avec la revue Novo.
Il enseigne l'« Écriture créative » au Centre de Linguistique Appliquée pour des étudiants étrangers et la « Pratiques scéniques et théâtres du monde », à l’Université de Bourgogne Franche-Comté à Besançon pour les licences et masters « Arts du spectacle ». Intervenant à École nationale supérieure d'art et de design de Nancy ainsi qu’à SciencesPo (campus de Dijon).

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