Joris Creuze opère des greffes. Il transfigure des objets banals en créatures. Ses chimères traversent les strates historiques. Souvent, il réunit deux entités, deux histoires, deux matériaux, pour créer un motif fantastique. Les éléments dialoguent et rebondissent, des familles d'œuvres se constituent. Chaque série s'étend, les échelles varient, des
maquettes apparaissent pour devenir des sculptures-fauteuils ornées de pattes de grenouille en céramique. Les pieds de table remplacent les socles, la narration nous mène vers les gargouilles grimaçantes.
Diplômé en 2022 de l'ENSA Dijon, Joris Creuze puise dans l'architecture qui l’entoure. Il ne se lasse pas de contempler la façade de Notre-Dame à Dijon et pratique le modelage avec délectation : il invente des personnages, façonne l'acier et la céramique, travaille les pleins, les creux, les effets de soustraction. L’acier est le squelette de la sculpture.
La céramique l’enveloppe et devient sa peau.
Cette dualité déploie des face-à-face, des vis-à-vis. D'autres matières apparaissent, comme la cire, le tissu ou la pâte fimo. L'artiste est sans cesse habité par des mises en scène, des conversations possibles entre ses sculptures et l’espace
d’exposition, où la lumière tient une place centrale. Nombre de scenarii sont en attente, prêts à émerger. Aussi grotesques qu’inquiétants, les êtres fabuleux demeurent attachants : ils transmettent une forme d’humanité propre aux monstres.
La littérature et le cinéma fantastiques imprègnent Joris Creuze dès l’enfance. Ici, le gisant d'une abbaye est soudain affublé d'un masque (Masque cornu, 2023). Là, en créant un barbecue (Calcifer, 2023), l'artiste assouvit son obsession du feu, puissance de transformation concrète des matériaux et des aliments. La sculpture s’anime, sa bouche en grès émaillé exulte et exhale la flamme.
On s’installe autour pour partager un repas. Ailleurs, séparés par une table, deux têtes émergent sous une louve (Entre chien et loup, 2024).
Les louveteaux ne peuvent rejoindre leur mère : on accède à l'endroit et l’envers du récit, qu'on inverse à notre guise par le biais de l’imaginaire.
Élise Girardot, août 2024
Élise Girardot collabore avec des artistes émergents pour la production d’expositions, de performances, de textes. Elle envisage sa position d’un point de vue exploratoire et déploie une recherche élargie, révélant un débordement de l'exposition. Souvent in situ, ses projets d’écriture ou d’exposition deviennent des prétextes narratifs et cherchent à révéler les espaces et les lieux où ils s’implantent. Sa pensée curatoriale parle depuis les mémoires des territoires et des personnes qu’elle rencontre. Histoires sociales, architecturales ou poétiques, histoires vraies ou rêvées, mémoire des corps et de leurs gestes, mémoires manquantes ou tues... La mémoire devient une matière depuis laquelle s’invente toute une cartographie de récits qui s’exposent en creux. On découvre cet engagement dans ses propositions pour la saison arts visuels, 2024 – 2025 de l’ARC scène nationale Le Creusot dans le cadre de « Cura » initié par le CNAP.
Elle est membre de C|E|A, Association française des commissaires d'exposition et de la section française de l'AICA, Association internationale des critiques d'art.