Eléa Fouchard ne cherche pas à faire diversion.
Elle multiplie pourtant les moyens d'expression : dessin, écriture, éditions, films-vidéos, graphisme, gravure, installation, peinture, sérigraphie, sculpture bientôt.
Sa pratique, abondante et quotidienne, fait de chaque expérience vécue une source de narration, fragmentée dans des carnets, son feed instagram un roman graphique.
Cette profusion se retrouve d’ailleurs jusque dans chacune des cases qu’elle dessine dans ce dernier, Vivre, récit-journal mêlant à des épisodes de sa vie des pages du journal de sa mère, décédée lorsque l’autrice avait dix ans. Les couleurs y semblent repousser le vide.
La pratique d’Éléa Fouchard est ainsi abondante autant qu’elle aborde frontale cet épisode comme fondamental pour l’artiste, autant que sa construction de genre en tant que femme, sa corporéité. L’abondance y est peut-être alors un moyen de repousser le vide, d’éviter que la vie subisse ce que Gaston Bachelard appelait “la propagation du néant”, et d’en faire une énergie mouvante et contagieuse.
La frontalité, peu familière parfois aux œuvres d’art contemporain qui se doivent d’être opaques pour ne pas être trop vite digérées, est peut-être, quant à elle, une forme de générosité envers celles et ceux qui découvrent son travail. Dans Esthétique de la rencontre, Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengual détaillent justement ce mécanisme d’autoréférentialité des œuvres. Les auteur·ices en déduisent que, dans ce régime esthétique, la “charge de la preuve” revient au spectateur ou la spectatrice, élément déficitaire, ignorant, dans sa relation à l'œuvre. Eléa Fouchard pratique une auto-fiction claire non pas tant comme exutoire, mais pour que son vécu se transforme pour d’autres en idées affectantes, que son histoire à elle se mêlent à d’autres pour déployer de nouveaux archipels de vécus.
“Pour qu’une idée puisse nous faire de l’effet, il faut qu’elle soit transformée en idée affectante, c’est-à-dire qu’elle arrive chargée de mises en récit ou d’images qui nous rendront présentes, urgentes, brûlantes des choses ou des causes qui jusque là étaient lointaines ou invisibles” explique Alice Zeniter dans Je suis une fille sans histoire, essai sur le pouvoir d’une fiction à laquelle on ôterait ses attributs héroïques et virilistes. En ce sens, on peut voir dans le travail d’Eléa Fouchard une filiation avec un nouveau réalisme situé, incarné, lié notamment aux luttes féministes contemporaines, celui d’Annie Ernaux, de Louise Bourgeois, et plus près de nous peut-être de la dramaturge Agathe Charnet, autrice de Ceci est mon corps. Autant de mises en récits de soi dont la vocation est de dé-singulariser ces expériences vécues pour en faire des outils d’émancipation et, ainsi, comme l’explique la philosophe Geneviève Fraisse, établir des filiations qui ne soient pas seulement familiales, mais aussi sociales, collectives, et politiques.
Samuel Marin Belfond, 2024
Samuel Marin Belfond est auteur et critique d’art. Il développe sa pratique à travers l’écriture, la performance, la programmation et la création sonore. Son travail explore les scripts contemporains de la masculinité, et notamment les fictions contemporaines qui la construise, dans le cadre d’une démarche artistique et militante.
En tant que critique, il expérimente les possibles d’une critique située, expérimentale et collective. La collaboration est au cœur de sa pratique que cela soit au sein de collectifs artistiques, à travers l’organisation de manifestations culturelles ou d’ateliers menés avec tous types de publics, gardant toujours comme principe prioritaire la nécessité d’œuvrer aux meilleures conditions éthiques de production.
Il collabore aux revues Manifesto XXI, Antidote, LeChassis, Station Station, Bad to the Bone, Le 1, Mouvement...
Membre de Jeunes Critiques d’Art et de l'AICA, Association internationale des critiques d'art.