Il arrive fréquemment que lorsque l’on croise dans la rue des commerçants chez qui pourtant on se rend presque tous les jours, on ne les reconnaisse pas car, hors de leur contexte, le visage de chacun se fond avec celui des autres passants. Bien sûr, ils ont un air vaguement familier mais on ne sait plus trop qui ils sont. Pour cela, l’artiste Serge Faudin a trouvé la parade afin de les extraire de l’anonymat dans lequel la ville les a plongés et de rétablir le lien qui nous unit à eux : il leur tire le portrait en studio tout en les magnifiant par la photo et par le costume : ainsi le tatoueur revêt une peau de léopard, l’esthéticienne se transforme en dandy fumant le cigare, l’opticien en Arlequin, la restauratrice en mécanicienne…Non seulement on identifie maintenant chacun d’eux mais on les regarde également d’un autre œil.
Son projet pour la Vitrine est de faire se rencontrer, à travers sa démarche artistique, le public qui vient voir son exposition et les commerçants dans leurs boutiques puisqu’ils y affichent leurs photos-portraits de façon bien visible et accessible comme une extension de l’espace galerie de même que la galerie devient un prolongement de leurs commerces, dans une interaction forte et dynamique.
Pour souligner cette mise en relation des uns avec les autres, des points rouges sont peints au sol devant chaque magasin de sorte à orienter et guider les promeneurs venus faire leurs courses tout en leur donnant l’occasion de voir autrement l’art contemporain, souvent suspecté d’élitisme, à la fois de façon plus simple et plus proche. Côté galerie, un grand plan de la ville de Marcigny est déployé à la Vitrine, sur lequel on retrouve les points rouges qui localisent l’emplacement de chaque commerçant immortalisé par l’image.
Face aux portraits de Serge ont ne peut s’empêcher de penser à l’époque de jadis où la photographie était rare, lorsqu’on allait à l’occasion d’un grand événement dans le studio du photographe pour poser devant une toile peinte après avoir revêtu ses plus beaux habits. Seulement ici, pas de crispation dans l’allure de la personne photographiée, aucune afféterie mais tout au contraire, beaucoup d’humour, de dynamisme et de spontanéité. Dans mon travail préparatoire, précise l’artiste, chaque rencontre avec mon binôme, enclenche une intimité profonde et un échange très personnel. Souvent, je suis surpris de mon choix, celui du travestissement comme celui de la mise en scène, qui crée des histoires inattendues dues autant au modèle qu’au photographe.
Tous les commerçants sollicités ont joué le jeu. À nous de jouer le nôtre…
Gérard Mathie, janvier 2024