Ricardo Basbaum (né en 1961 à São Paulo, Brésil. Vit et travaille à Rio de Janeiro, Brésil) est un artiste dont la pratique consiste à étudier comment l’art peut servir à la fois de plateforme et d’intermédiaire pour articuler entre eux l’expérience sensorielle, la sociabilité et le langage. Ses œuvres invitent souvent les spectateur•ices à se mettre en action en répondant à des systèmes de symboles, des règles intégrées dans des scripts, la lecture de partitions, de diagrammes ou encore l’activation de jeux.
Depuis la fin des années 1980, il a créé un vocabulaire spécifique pour son travail, qu’il applique d’une manière particulière à chaque nouveau projet. Il s’agit de NBP [Nouvelles Bases pour la Personnalité], qui explore toute la complexité de la subjectivité5. Le début de ce projet coïncide avec la fin de la dictature militaire au Brésil et la montée de la globalisation. Constitués de mots et de lignes, ses diagrammes muraux peuvent alors s’envisager comme des dessins, des poèmes visuels qui convoquent tout à la fois des images, des actions et des relations. Le diagramme est un connecteur, un médiateur et un activateur entre l’œuvre, l’espace, et la subjectivité du public. NBP est activé également à travers la production d’installations, de vidéos, de performances sonores ou encore d’interventions urbaines.
Ricardo Basbaum est artiste plasticien mais également auteur et enseignant. Il est, comme il le définit lui-même, un « artiste-etc6 ». Cette plasticité de sa posture se retrouve également dans sa capacité à produire des objets relationnels. Poursuivant les explorations de Lygia Clark et Hélio Oiticica sur les effets de l’abandon de l’idée de l’œuvre comme objet fini, mais qui doit au contraire inclure la présence absolument active du spectateur pour ouvrir le champ des significations possibles, il contribue à la création d’un nouveau système d’échange d’informations et d’expériences. « La proposition artistique [devient alors] le lieu de la production des médiations […].7».
« AH! OH! Lorsque l’on entre dans l’espace de la galerie, deux grands mots sont immédiatement visibles : les deux interjections, accompagnées de points d’exclamation, projettent un son dans l’espace lorsqu’elles sont lues. La présence de ces deux grands mots contribue à activer l’installation dans son ensemble ».8
Pour Montbéliard, Ricardo Basbaum a conçu un projet artistique global qui se déroule selon deux temporalités différentes. Cette nouvelle proposition contient un certain nombre d’éléments déjà présents dans son travail ces dernières années, tels que l’emploi du texte dans l’espace comme stratégie d’incitation à l’oralité, les répétitions visuelles, l’implantation d’éléments sculpturaux structurant l’espace pour inviter à la participation. AH! OH! est d’abord un espace performatif collaboratif, puis une exposition.
À son ouverture en février, le rez-de-chaussée du centre d’art est en premier lieu un espace du « faire » et de la collecte où le public peut se déplacer et développer des relations ; produire des œuvres sonores où la voix et les mots parlés sont mis en action. À travers divers dispositifs activables, chaque personne contribue à la constitution à terme d’une œuvre commune. L’installation est composée d’objets relationnels conçus ou choisis par Ricardo Basbaum à la suite de sa propre compréhension de l’espace architectural du lieu. Mais il s’agit également pour lui, à travers cette expérience collaborative et selon des principes d’enregistrements, de comprendre la présence des personnes dans le centre d’art, agent•es9 qui font vivre l’ensemble, en se déplaçant autour des œuvres, en entrant en contact avec les dispositifs, en générant des images à travers leurs corps dans l’espace et des sons en jouant les différentes partitions laissées par l’artiste à leur attention.
Tandis qu’une salle est transformée en espace de projection en temps réel, diffusant des images captées en direct des autres salles par huit caméras, une autre salle propose un studio d’enregistrement qui, lui-même, transmet les voix et les sons produits dans la salle attenante. Cette dernière, habitée par un diagramme et des éléments sculpturaux à investir physiquement, est le lieu de l’expérimentation corporelle.
Après quelques jours de fermeture, du 7 au 11 avril, cet espace performatif laissera la place à l’exposition, aux salles remodelées, pour y accueillir notamment la projection d’un film, nouvelle œuvre constituée à partir des actions du public. « Le film fonctionnera comme une sorte de documentation de la première phase de l’exposition, générant une deuxième couche où l’exposition de l’exposition est le sujet principal à regarder. »10. L’impulsion de l’artiste de documenter l’exposition elle-même renvoie à une posture générale dans sa pratique qui considère la « forme exposition » comme œuvre.
AH! OH! se construit ainsi à partir d’une structure collaborative et relationnelle qui déploie pour Ricardo Basbaum des références à la tradition brésilienne de l’art sensoriel et expérimental. Elle permet aux visiteur•euses de réagir à l’environnement du centre d’art en temps réel et en entrant en relation avec les œuvres. Ricardo Basbaum interprète ainsi « l’héritage radical brésilien comme un ensemble de principes, ou de graines génératrices »11 à partir desquelles il ambitionne de capturer différents gestes et voix qui viendront nourrir la réflexion autour des pratiques artistiques générant de nouvelles formes d’espaces communs et partagés.
AH! OH! et À votre contact, se confondre sont deux expositions qui tendent à (é)mouvoir les usages du centre d’art en générant, selon des formes et des dispositifs différents, des situations d’hospitalité et d’action, « capables de stimuler de nouvelles relations [et] permettant d’interpréter l’hospitalité de manière à créer de nouveaux terrains »12. Chacun•e à leur manière adopte vis-à-vis du contexte, une posture ancrée d’observateur•ice et de créateur•ice de situations. Elle et il s’appuient à la fois sur des expérimentations artistiques qui ont pu les précéder, conscient•es de la fertilité des avant-gardes, tout en laissant l’espace aux bouleversements spontanés et incontournables de la relation qui s’écrit au présent.
« Le monde a besoin de tendances nouvelles en poésure et peintrie/ […] parce que nous voyons avec nos oreilles et entendons avec nos yeux/. »13
Adeline Lépine
Curatrice des expositions
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