Kelly Weiss (née en 1996 à Belfort, France. Vit et travaille à Lyon, France) est une artiste peintre dont la pratique s’étend à la sculpture, l’espace, l’installation ou encore la performance. Dans ses œuvres, elle intègre des matériaux industriels récupérés tels que des bâches de camion, des draps, des palettes ou encore de la rouille qu’elle extrait d’éléments métalliques altérés, proposant des projets picturaux in situ qui dialoguent avec le lieu dans lequel ils se déploient.
Kelly Weiss considère que sa démarche artistique et cet intérêt spécifique pour les périphéries5 sont liés au contexte industriel du territoire où elle a grandi. Ce dernier influe en partie sur la typologie des matériaux qu’elle emploie, mais également sur son processus de création fortement parcouru par des logiques de déambulation et de collecte. Ces dernières chargent alors les œuvres de la vibration des souvenirs des fragments prélevés ou des situations observées. L’artiste considère que sa pratique ne peut se déployer qu’à partir de cet apport mutuel entre son geste de peintre et les nouveaux éléments qui se présentent à elle lorsqu’elle traverse des espaces et des territoires. La dimension allusive de son travail résiste alors à une approche par le sens pour favoriser celle de la sensation, de la vibration et même de la diversion.6
Les matériaux, quelle que soit leur provenance, sont appréhendés de manière picturale et comme des surfaces, explorés selon leurs différents états et/ou à travers divers jeux d’échelle. Leur installation met en avant des jeux d’ombres et de lumières, d’échos avec le contexte de monstration. Elle favorise le mouvement des corps, puis parfois leur arrêt ou encore leur ralentissement. On pourrait, pour décrire le travail artistique de Kelly Weiss, reprendre une citation de Manny Farber à propos de ce qu’il désigne comme l’art « termite » : « une création ambulatoire qui est à la fois un acte d’observation et d’être-au monde, une trajectoire au sein de laquelle l’artiste semble ingérer le matériau de son art autant que le monde alentour dans un rapport horizontal ».7
« Mon environnement et ma pratique s’infiltrent mutuellement ; la plupart de mes pièces ont vocation à s’intégrer au contexte dans lequel elles sont installées, ou du moins à refléter celui-ci. C’est dans un dialogue avec le lieu qu’elles déploient une partie de leur sens. Au travers d’interventions discrètes emplies d’infimes détails, et d’images/modules tangibles, je cherche à donner à mon travail une présence et une consistance trouble, qui interroge son cadre. »8
Pour l’exposition au 19, Crac, l’intérêt de l’artiste s’est d’abord porté sur les caractéristiques architecturales des salles d’exposition de la mezzanine. Par ailleurs, et en lien avec l’histoire industrielle locale, Kelly Weiss a débuté une réflexion générale à propos des matériaux qu’elle pourrait collecter sur le territoire, dans la continuité de certaines de ses expérimentations avec la limaille de fer, l’eau salée ainsi que le textile domestique.
Au fur et à mesure de ses venues, de ses déambulations, à la fois à l’extérieur et à l’intérieur du centre d’art, Kelly Weiss développe un corpus d’objets s’apparentant à des surfaces planes ou à des maquettes. Les éléments architecturaux sont rejoués à travers différentes échelles et matériaux pour devenir sculpture, tableau, installation.
Les surfaces et objets, quant à eux, deviennent des éléments d’architecture dans le contexte de l’accrochage. L’ensemble s’appuie sur les mesures des salles d’exposition et accompagne les visiteur•euses dans une expérience physique et sensorielle de l’espace.
L’ensemble est pensé comme une variation autour de la forme « boîte » ou du « white cube », qui démultiplie dans l’exposition les projections d’espaces réels et potentiels à partir d’une mise en abyme de la mezzanine. L’appropriation par l’artiste d’un lieu impersonnel mène à des lieux à soi et ouvre pour les visiteur•euses sur d’autres issues possibles, tout en jouant sur l’ambiguïté du « concept de seuil [qui] est plus large que celui de porte. Il peut renvoyer à des seuils mentaux, à l’idée d’établir des connexions dans son cerveau, dans ses rêves. […] L’entre-deux est aussi une métaphore : on peut s’y perdre. […] Le seuil a une dimension de profondeur – l’infini du sol sur lequel on se tient9 ». Chacun•e est ainsi placé•e en situation d’attente et d’observation, comme l’artiste avant elleux. S’agit-il alors d’une énigme à résoudre à partir d’analogies personnelles : « ruines, sous-bois crépusculaires, plages sans limites, stades déserts, jardins à l’abandon [?] Ces lieux ne s’ouvraient que sur d’autres lieux semblables, laissant toujours en suspens l’inquiétude ou l’émerveillement du rêveur – et c’était ce prolongement même qu’il fallait suggérer.10 ».
AH! OH! et À votre contact, se confondre sont deux expositions qui tendent à (é)mouvoir les usages du centre d’art en générant, selon des formes et des dispositifs différents, des situations d’hospitalité et d’action, « capables de stimuler de nouvelles relations [et] permettant d’interpréter l’hospitalité de manière à créer de nouveaux terrains11 ». Chacun•e à leur manière adopte vis-à-vis du contexte, une posture ancrée d’observateur•ice et de créateur•ice de situations. Elle et il s’appuient à la fois sur des expérimentations artistiques qui ont pu les précéder, conscient•es de la fertilité des avant-gardes, tout en laissant l’espace aux bouleversements spontanés et incontournables de la relation qui s’écrit au présent.
« Le monde a besoin de tendances nouvelles en poésure et peintrie/ […] parce que nous voyons avec nos oreilles et entendons avec nos yeux/. »12
Adeline Lépine
Curatrice des expositions
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